Chirurgien cardiaque : itinéraire d’un enfant battu

1 Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire 2014 ; 18(3) : 131-136 131tribune libreJ avais pass l essentiel de mon temps regarder des professeurs op rer tout en mystifiant le geste op ratoire. de trop rares ex-ceptions pr s, ils ne s occupaient pas ou trop peu de la forma-tion des internes ni des chefs de clinique, autrement qu en d l -guant l ouverture, l h mostase et la fermeture des malades et ne prenaient qu exceptionnellement le temps d aider sur un temps cardiaque . Nous nous sentions maltrait s au bloc par des gestes ou des remarques d sobligeants nous rendant responsables de situations sur lesquelles nous avions bien peu de prise.

2 Dans d autre cas, des moqueries subtiles nous enfon aient encore plus dans notre ignorance, comme pour mieux justifier le d sen-gagement de nos ma tres dans notre formation et nous main-tenir dans un tat de d pendance infantilisant. Enferm dans un cursus ultrasp cialis , o nos enseignants semblaient avoir tous les droits et aucun devoir, ma peur grandissait de ne pas parvenir tre form au m tier pour lequel j avais d j consa-cr treize ann es d tudes. La majorit de mes coll gues avaient chang de sp cialit en cours de route par d pit. D autres ont pay le prix fort et n exerceront jamais la chirurgie cardiaque au terme de leur cursus.

3 D autres encore resteront des petites mains toute leur carri re, comme c est le cas de beaucoup de coll -gues trangers venus se former en France, attir s par un syst me permissif l entr e mais qui ne leur fournira pas de formation dipl mante la sortie. Le tr s faible nombre de femmes parmi les chirurgiens cardiaques est aussi un signe frappant de l absence d ouverture de notre discipline, de l incertitude du parcours de formation et de sa longueur. Mais c est la fin du clinicat que la maltraitance est la plus mar-qu e. Pas encore autonome pour aller directement dans le sec-teur priv , et confront un vide administratif dans la gestion de sa carri re m dicale, le chef de clinique d pend alors totalement du bon vouloir de son chef de service.

4 Exceptionnels sont ceux qui ont une visibilit sur leur avenir avec un poste clairement identifi . La majorit se retrouve sur des postes d attente vari s pendant de nombreuses ann es. Certains voient m me leur sa-laire diminuer en tant plac s sur des postes de praticien attach contractuel. L administration hospitali re, en se r fugiant derri re une responsabilit m dicale, est complice de cette situation, comme elle l est dans le traitement discriminatoire de beaucoup Chirurgien cardiaque : itin raire d un enfant battuR flexions sur l enseignement chirurgical Emmanuel LansacEmmanuel Lansac est fils d un professeur de chirurgie r put , ancien chef de service.

5 Il a effectu sa formation chirurgicale dans diff rents h -pitaux en France et l tranger. Les r flexions rapport es dans cette tribune libre n engagent que l auteur qui ne d crit ici que son v cu int rieur personnel et sa propre vision des choses. Il voque sa crainte concernant sa formation, la rudesse de l apprentissage chirurgical, l incertitude pour l obtention d une position, mais aussi des sentiments d amour, de col re et de peur qui se m langent dans un esprit chirurgical r solu. Force est de constater que nous nous reconnaissons tous, plus ou moins, dans ce texte. En effet, nous avons connu ou connaissons parfois les m mes sen-timents.

6 Nous sommes aussi tous, en fonction du stade de notre carri re, le p re ou le fils chirurgical d autres chirurgiens, avec qui nous tissons toujours des relations humaines tr s fortes. Cela g n re des sentiments parfois excessifs, dans un sens comme dans l autre, entre professionnels anim s d une m me Ce texte a le grand m rite d ouvrir le d bat, n cessaire aujourd hui, pour essayer de mieux comprendre la probl -matique de l apprentissage de la chirurgie et au-del , celle des relations ult rieures souvent complexes entre chirurgiens, afin de les am liorer apr s les avoir analys es. Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanaliste, et Marie-Christine Pouchelle, anthropologue et historienne, nous livrent leurs commentaires, la lumi re de leur riche culture et de leur regard, d autant plus int ressant pour nous qu il est bien diff rent du n La publication de ce texte n a pas d autre but que de mieux nous conna tre dans notre pratique du plus beau m tier du monde , et de rendre cette pratique meilleure.

7 Le Comit de r dactionCorrespondance : texte est une r flexion sur la formation et le m tier de chirur-gien cardiaque . Il t moigne de situations v cues, pose des ques-tions et cherche des l ments de r ponses. Il a pour objectif d ouvrir un espace de parole pour mettre des mots sur une vio-lence ordinaire qui peut transformer l un des plus beaux m -tiers du monde en lieu de souffrance silencieuse. 18 ans, je suis entr la facult avec le r ve de devenir m decin. Apr s six ans d externat, formation th orique maill e de stages hospitaliers d observation, j acc de enfin au prestigieux poste d interne des h pitaux d le-de-France.

8 Cr il y a un peu plus de deux si cles sous l empire de Napol on Bonaparte, l internat jouit d une r putation d ex-cellence o le compagnonnage et la formation chirurgicale se-raient exemplaires, pla ant de facto l cole de chirurgie fran aise parmi les plus r put es au monde. Il ne me fallut que quelques semaines pour comprendre que la r alit tait tout autre. Si le niveau chirurgical est bien souvent excellent, la hi rarchie hos-pitali re fonctionne sur un mode pyramidal, avec sa t te un mandarin nomm vie de rares exceptions pr s. Ma vie d interne tait alors rythm e au gr des humeurs de chefs de ser-vice incontestables, cristallisant sur leur personne toutes les pro-jections paternelles.

9 Ce syst me de centralisation des pouvoirs rel gue l interne au rang de super-externe, le chef de clinique celui de super-interne servant de petites mains un chef de service concentrant l essentiel de l activit publique occultant pour certains une activit lib rale s cinq ans d internat de chirurgie cardiaque , je me sentais incompl tement form la chirurgie de base de ma sp cialit . Je n ai pas eu d valuation th orique ni pratique de mes connais-sances. J ai obtenu mon dipl me de docteur en m decine en soutenant un travail de th se. J ai valid un an plus tard mon dipl me de chirurgie cardiovasculaire et thoracique par la soute-nance d un m moire.

10 Je suis ensuite all m inscrire au Conseil de l Ordre des m decins qui m a certifi que tout tait en ordre et que j avais le droit d Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire 2014 ; 18(3) : 131-136E. Lansac | R flexions sur l enseignement chirurgicalde m decins trangers. En fonction de la personnalit du chef de service c est parfois le syst me de cour qui l emporte, les uns et les autres rivalisant pour mieux se soumettre et obtenir un poste. Comportements pervers, manipulations, menaces et intimida-tions peuvent alors tre observ s, le chef de service pouvant ar-bitrairement faire et d faire des carri res en toute impunit.