La petite fille aux allumettes - Free

1 LA petite fille AUX allumettes d'apr s Hans Christian Andersen Il faisait vraiment tr s, tr s froid ce jour l ; il neigeait depuis le matin et maintenant il faisait d j sombre; le soir approchait, le soir du dernier jour de l'ann e. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait pieds nus dans la rue. Lorsqu'elle tait sortie de chez elle ce matin, elle avait pourtant de vieilles chaussures, mais des chaussures beaucoup trop grandes pour ses si petits pieds. Aussi les perdit-elle lorsqu'elle courut pour traverser devant une file de voitures ; les voitures pass es, elle voulut les reprendre, mais un m chant gamin s'enfuyait en emportant l'une d'elles en riant, et l'autre avait t enti rement cras e par le flot des voitures.

2 Voil pourquoi la malheureuse enfant n'avait plus rien pour prot ger ses pauvres petits petons. Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes : elle en tenait une bo te la main pour essayer de la vendre. Mais, ce jour-l , comme c' tait la veille du nouvel an, tout le monde tait affair et par cet affreux temps, personne n'avait le temps de s'arr ter et de consid rer l'air suppliant de la petite fille . La journ e finissait, et elle n'avait pas encore vendu une seule bo te d' allumettes . Tremblante de froid et de faim, elle se tra nait de rue en rue. Des flocons de neige couvraient maintenant sa longue chevelure. De toutes les fen tres brillaient des lumi res et de presque toutes les maisons sortait une d licieuse odeur de volaille qu'on r tissait pour le festin du soir.

3 Apr s avoir une derni re fois offert en vain son paquet d' allumettes , l'enfant aper ut une encoignure entre deux maisons. Elle s'y assit, fatigu e de sa longue journ e, et s'y blottit, tirant elle ses petits pieds: mais elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose pas rentrer chez elle. Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son p re la battrait. L'enfant avait ses petites menottes toutes transies. "Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour r chauffer mes doigts?" C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c' tait! Il sembla tout coup la petite fille qu'elle se trouvait devant un grand po le en fonte, comme elle en avait aper ut un jour. La petite fille allait tendre ses pieds vers ce po le pour les r chauffer, lorsque la petite flamme de l'allumette s' teignit brusquement et le po le disparut.

4 L'enfant resta l , tenant dans sa main glac e un petit morceau de bois moiti br l . Elle frotta une seconde allumette: la lueur se projetait sur le mur qui devint transparent. Derri re cette fen tre imaginaire, la table tait mise: elle tait couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s' talait une magnifique oie r tie, entour e de pommes saut es: et voil que la b te se met en mouvement et, avec un couteau et avec une fourchette, vient se pr senter devant la pauvre petite affam e. Et puis plus rien: la flamme de l'allumette s' teint. L'enfant prend une troisi me allumette, et elle se voit transport e pr s d'un splendide arbre de No l. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs: de tous c t s, pendait une foule de merveilles.

5 La petite fille tendit la main pour en saisir une: l'allumette s' teint. L'arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des toiles. Il y en a une qui se d tache et qui redescend vers la terre, laissant une tra n e de feu. "Voil quelqu'un qui va mourir" se dit la petite . Sa vieille grand-m re, la seule personne qui l'avait aim e et ch rie, et qui tait morte tout r cemment, lui avait racont que lorsqu'on voit une toile qui file vers la terre cela voulait dire qu'une me montait vers le paradis. Elle frotta encore une allumette: une grande clart se r pandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-m re. - Grand-m re, s' cria la petite , grand-m re, emm ne-moi. Oh! tu vas aussi me quitter quand l'allumette sera teinte: tu vas dispara tre comme le po le si chaud, l'oie toute fumante et le splendide arbre de No l.

6 Reste, s'il te pla t! .. ou emporte-moi avec toi. Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir sa bonne grand-m re le plus longtemps possible. Alors la grand-m re prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu o il n'y avait plus ni froid, ni faim, ni chagrin. Le lendemain matin, les passants trouv rent sur le sol le corps de la petite fille aux allumettes ; ses joues taient rouges, elle semblait sourire : elle tait morte de froid, pendant la nuit qui avait apport tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes br l s d'un paquet d' allumettes . - Quelle petit sotte! dit un sans-c ur. Comment a-t-elle pu croire que cela la r chaufferait ?

7 D'autres vers rent des larmes sur l'enfant; mais ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle go tait maintenant, dans les bras de sa grand-m re, la plus douce f licit.