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LES CAVES DE LILLE Victor Hugo, mars 1851 - scmsa.eu

LES CAVES DE LILLE Victor Hugo, mars 1851 Messieurs, quand nous sommes all s LILLE , mes honorables compagnons de voyage et moi, la loi des logements insalubres y avait pass ; voici ce qu'elle avait laiss derri re elle, voici ce que nous avons trouv . La premi re cave o nous nous sommes pr sent s est situ e Cour l'eau, n 2. Je vous dis l'endroit. Bien que la porte f t toute grande ouverte au soleil depuis le matin, car c' tait une belle journ e de f vrier, il sortait de cette cave une odeur tellement infecte, l'air y tait tellement vici que, sur sept visiteurs que nous tions, nous ne f mes que trois qui p mes y descendre.

Figurez-vous ces caves dont rien de ce que je vous ai dit ne peut vous donner l'idée ; figu-rez-vous ces cours qu'ils appellent des courettes, resserrées entre de hautes masures, sombres, humides, glaciales, méphitiques, pleines de miasmes stagnants, encombrées

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  Ocur, Lille

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1 LES CAVES DE LILLE Victor Hugo, mars 1851 Messieurs, quand nous sommes all s LILLE , mes honorables compagnons de voyage et moi, la loi des logements insalubres y avait pass ; voici ce qu'elle avait laiss derri re elle, voici ce que nous avons trouv . La premi re cave o nous nous sommes pr sent s est situ e Cour l'eau, n 2. Je vous dis l'endroit. Bien que la porte f t toute grande ouverte au soleil depuis le matin, car c' tait une belle journ e de f vrier, il sortait de cette cave une odeur tellement infecte, l'air y tait tellement vici que, sur sept visiteurs que nous tions, nous ne f mes que trois qui p mes y descendre.

2 Un quatri me qui s'y hasarda ne put d passer le milieu de l'escalier, et de m me que cela tait arriv en 1848 au pr fet de LILLE accompagnant M. Blanqui, il s'arr ta comme asphyxi au seuil de la cave et fut oblig de remonter pr cipi-tamment. Nous trouv mes dans cette cave au pied de l'escalier une vieille femme et un tout jeune enfant. Cette cave tait si basse qu'il n'y avait qu'un seul endroit o l'on p t s'y tenir debout, le milieu de la vo te. Des cordes sur lesquelles taient tal s de vieux linges mouill s interceptaient l'air dans tous les sens. Au fond il y avait deux lits, c'est- -dire deux coffres en bois vermoulu contenant des paillasses dont la toile, jamais lav e, avait fini par prendre la couleur de la terre.

3 Pas de draps, pas de couvertures. Je m'ap-prochai d'un de ces lits, et j'y distinguai dans l'obscurit un tre vivant. C' tait une petite fille d'environ six ans qui gisait l , malade de la rougeole, toute tremblante de fi vre, presque nue, peine couverte d'un vieux haillon de laine ; par les trous de la paillasse sur laquelle elle tait couch e, la paille sortait. Un m decin qui nous accompagnait me fit toucher cette paille. Elle tait pourrie. La vieille femme, qui tait la grand'm re, nous dit qu'elle demeurait l avec sa fille qui est veuve et deux autres enfants qui reviennent la nuit ; qu'elle et sa fille taient dentelli res ; qu'elles payaient dix-huit sous de loyer par semaine, qu'elles recevaient de la ville tous les cinq jours un pain, et qu' elles deux elles gagnaient dix sous par jour.

4 C t du lit, pr s de l'enfant malade, il y avait un grand tas de cendre qui exhalait une odeur repoussante. C'est de la cendre de tourbe que ces malheureuses familles ramassent et vendent pour vivre. Au besoin cette cendre leur sert de lit. Telle tait cette cave. Messieurs, six cr atures humaines, deux femmes et quatre enfants, vivent l ! Plus -je veux m nager les instants de l'Assembl e, je ne citerai que quelques faits. D'apr s ceux-l , vous jugerez du reste. Remarquez-le d'ailleurs, messieurs, ces faits ne sont pas des faits choisis expr s, ce sont les premiers faits venus, ceux que le hasard nous a donn s dans une visite qui n'a dur que quelques heures.

5 Ces faits ont au plus haut degr tout le caract re d'une moyenne. Ils sont horribles ; il y en a de plus horribles pourtant, et que je connais ; mais je n'en parlerai pas, car je ne veux citer que ceux que j'ai vus. Dans une autre cave, cour Gh , il y avait quatre enfants seuls. Le p re et la m re taient au travail. L'a n e, une fille de sept ans qui en paraissait cinq, ber ait le plus petit qui pleurait. Les deux autres taient accroupis c t de la s ur a n e dans une attitude de stupeur. Messieurs, ces quatre enfants dans cette cave, seuls, v tus de lambeaux, livides, immobiles, silencieux, accabl s, une atmosph re f tide, des guenilles s chant sur des cordes, terre des flaques d'eau produites par le suintement des eaux de la cour le long des murs de la cave, je renonce vous donner une id e de cette mis re !

6 Ailleurs, rue des Etaques, n 14, une all e noire o coulait un ruisseau infect nous a conduits dans une cour troite bord e de masures. Nous sommes entr s au hasard, j'y insiste, dans la pre-mi re. Il y avait l une femme qui sanglotait. Cette femme, appel e Eug nie Watteau, a eu deux enfants. L'un est mort trois mois et demi. L'autre est malade de la maladie de la lymphe dont son fr re est mort. Quant la m re, elle perd la vue. Les conditions sp -ciales de travail et l'atmosph re malsaine o vivent ces familles malheureuses engen-drent des ophtalmies qui produisent des amauroses.

7 Elle est seule au monde avec son enfant. Elle nous a dit en pleurant : si je travaille, je deviendrai aveugle, si je ne travaille pas, nous mourrons de faim. Tout c t , dans la masure voisine, au fond d'une chambre sans meubles, un ouvrier filetier, phtisique, homme d'environ trente-cinq ans, tait couch sur un grabat. On l'en-tendait r ler du dehors. Vous n'ignorez pas, messieurs, que lorsqu'on ne peut pas pren-dre les pr cautions hygi niques auxquelles l'extr me indigence est forc e de renoncer, certaines industries insalubres, notamment le peignage du lin, d veloppent une certaine esp ce de phtisie.

8 Au-dessus de l'ouvrier malade, au premier tage, car il n'y a pas de solution de continui-t , toutes ces douleurs se touchent, pas un anneau ne manque cette cha ne de mis re qui p se sur ces populations accabl es, nous avons trouv une femme veuve. Cette femme est pileptique. Elle fait de la dentelle et gagne trois sous par jour. Elle a trois petits enfants. L'a n gagne quinze sous par semaine, le second ne travaille pas encore, l'autre, qui est une fille, est afflig e, nous dit la m re, ce qui signifie scrofuleuse. Ils cou-chent tous les quatre, la m re et les enfants, sur une paillasse qui est l.

9 Ils n'ont ni draps, ni couvertures. Ils ne font jamais de feu. J'ai demand cette veuve : De quoi vivez-vous ? Elle m'a r pondu : - Quand nous avons du pain, nous mangeons. Je m'arr te, messieurs, je ne veux pas multiplier, moins que des contradictions impru-dentes ne m'y forcent, ces douloureux d tails. Repr sentez-vous pourtant des rues, des rues enti res o l'on rencontre chaque pas de ces spectacles-l , o palpite partout, sous toutes les formes, la d tresse la plus lamentable. Nous ne sommes rest s qu'un jour LILLE , mes compagnons de route et moi ; nous avons t devant nous au hasard, je le r -p te, dans ces quartiers malheureux ; nous sommes entr s dans les premi res maisons venues.

10 Eh bien ! nous n'avons pas entr'ouvert une porte sans trouver derri re cette porte une mis re, quelquefois une agonie. Figurez-vous ces CAVES dont rien de ce que je vous ai dit ne peut vous donner l'id e ; figu-rez-vous ces cours qu'ils appellent des courettes, resserr es entre de hautes masures, sombres, humides, glaciales, m phitiques, pleines de miasmes stagnants, encombr es d'immondices, les fosses d'aisance c t des puits ! H mon Dieu ! ce n'est pas le moment de chercher des d licatesses de langage ! Figurez-vous ces maisons, ces masures habit es du haut en bas, jusque sous terre, les eaux croupissantes filtrant travers les pav s dans ces tani res o il y a des cr atures humaines.


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