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Kilborne.Rêves au Maroc - [Psychopathologie africaine]

psychopathologie africaine, 1977, XIII, 1 : 71-79. INTERPR TATION DES R VES ET. ATTITUDES ENVERS L'AUTORIT . AU Maroc . Benjamin KILBORNE. Au Maroc , comme en Egypte, il existe encore une v ritable institution d'interpr tation des r ves ; les clefs des songes sont courantes ainsi que des sp cialistes dans les techniques d'oniro- mancie. La situation dans laquelle se trouvent r veur et inter- pr te professionnel fait partie d'un contexte social tabli. Tirant leurs origines du fondement de la culture marocaine, les attitudes que manifestent les Marocains l' gard de l'exp rience onirique ont un sens social reconnu. En effet, il y a un r seau de significations exprim par cette situation et fond sur les valeurs les plus ancr es dans l'esprit marocain. Je tacherai ici d'esquisser ce que j'entends par le contexte so- cial d'interpr tation des r ves, et dans un deuxi me temps, de d montrer comment ce dernier exprime des attitudes envers l'autorit.

Psychopathologie africaine, 1977, XIII, 1 : 71-79.! 4 que celui-ci les garde ·pour lui ; un enfant qui refuse de racon-ter ses rêves peut être considéré comme un ingrat.

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1 psychopathologie africaine, 1977, XIII, 1 : 71-79. INTERPR TATION DES R VES ET. ATTITUDES ENVERS L'AUTORIT . AU Maroc . Benjamin KILBORNE. Au Maroc , comme en Egypte, il existe encore une v ritable institution d'interpr tation des r ves ; les clefs des songes sont courantes ainsi que des sp cialistes dans les techniques d'oniro- mancie. La situation dans laquelle se trouvent r veur et inter- pr te professionnel fait partie d'un contexte social tabli. Tirant leurs origines du fondement de la culture marocaine, les attitudes que manifestent les Marocains l' gard de l'exp rience onirique ont un sens social reconnu. En effet, il y a un r seau de significations exprim par cette situation et fond sur les valeurs les plus ancr es dans l'esprit marocain. Je tacherai ici d'esquisser ce que j'entends par le contexte so- cial d'interpr tation des r ves, et dans un deuxi me temps, de d montrer comment ce dernier exprime des attitudes envers l'autorit.

2 La socialisation du r ve Comme il a t amplement d montr 1 la culture fournit des mod les de r ves auxquels les r ves tendent se conformer2, les 1 Voir par ex. Lincoln 1935 ; Devereux 1951 ; Hallowell 1960 ; Roheim 1947. 2 Il est bien entendu, inexact de distinguer entre r ve individuel et r ve cul- turel. Tout r ve comporte des l ments culturels et, en tant qu'expression de l'individu, des l ments individuels. Ce que je souhaite souligner, c'est l'utilit de l' tude des fondements culturels du r ve au Maroc (cf. Kilborne 1976). psychopathologie africaine, 1977, XIII, 1 : 71-79. valeurs culturelles ont une influence consid rable sur la forme que rev t le r ve. cette constatation banale s'en ajoute. une autre : un r ve est le produit d'un r veur qui est le produit d'un contexte social. Il existe donc des r cits stylis s de r ves, des circons- tances sp cifiques pour le r veur de raconter son r ve, des ex- pectatives la fois de la part du r veur et de celui qui coute.

3 Son r ve, des fa ons d'interpr ter un r ve, comme il existe des conceptions de l'exp rience onirique. Pour l'ethnologue, saisir le sens du r ve ou son interpr tation implique une compr hen- sion de la conception du monde, l'orientation cognitive des membres de la culture tudi e. Par cons quent, il est souhai- table, voire indispensable, de consid rer et de situer le r cit du r ve et son interpr tation dans son contexte social. Le cas marocain Le Maroc figure parmi les pays qui attachent une grande va- leur l'exp rience onirique. Les Marocains prennent leurs r ves au s rieux, les discutent en famille , agissent suivant les con- seils re us en r ve, consultent des interpr tes de r ves, re oivent en r ve des avertissements et des pr dictions, et sont m me gu - ris en r ve. En tant que pays islamique, le Maroc est l'h ritier d'une tradition qui associe troitement r ve et proph tie. De plus, Il existe au Maroc des aspirations et pr c dents cul- turels pour l'interpr tation des r ves.

4 L'int rieur du cercle familial les autorit s reconnues en mati re d'oniromancie sont en g n ral les membres les plus g s et les plus respect s, chaque famille ayant son sp cialiste . En dehors de la famille. les interpr tes de r ves sont tr s souvent les fqih, ma tres d' coles locaux qui enseignent le Coran. En somme, la culture marocaine valorise l'exp rience oni- rique et fournit une conception socialis e de l'interpr tation des r ves. 2. Benjamin Kilborne L'interpr tation des r ves au Maroc Les interpr tes de r ves : la famille C'est la famille qui donne vie et substance au r cit et . l'interpr tation des r ves. Dans ce processus, les rapports pa- rent/enfant jouent un r le primordial. Ainsi, dans l'institutio- nalisation /p. 73/ m me de l'interpr tation des r ves, on voit se dessiner les attitudes vers les imagos paternels et maternels. L'autorit du p re tant une force majeure dans la culture ma- grhebine, il est logique de trouver, dans les interpr tations de r ves marocains, l'expression de l'ob issance exig e par l'imago paternel.

5 L'interpr te de r ves dans les familles est toujours quelqu'un vers qui on se tourne avec respect, le plus souvent un grand- p re ou une grand-m re. Traditionnellement, c'est l'heure du petit d jeuner que vient le moment de raconter les r ves, quand les travailleurs ont quitt la maison. Ceci signifie que les enfants restent seuls avec les femmes et les vieillards. Pour cette raison les hommes pr tendent que les enfants acqui rent leurs supers- titions aupr s des femmes et en viennent croire aux r ves. Comme l'on peut s'y attendre, il est fr quent que les vieilles femmes se racontent mutuellement leurs r ves assortis de leurs propres interpr tations. Th oriquement, les r ves de jeunes enfants ne sont pas pris au s rieux et ne sont pas interpr t s. Quoiqu'il arrive que l'on accorde une certaine importance des r ves d'enfants, on ne les prend v ritablement en consid ration qu' partir de l'adolescence. Comme c'est pr cis ment la p riode o l'enfant recherche son ind pendance ce fait est significatif pour plu- sieurs raisons.

6 D'abord, les interpr tations des r ves d'un ado- lescent renforcent les liens existant avec les g n rations pr c - dentes, liens puissants pour le maintien des valeurs sociales. Ensuite, les parents tiennent voir l'enfant raconter ses r ves et consid rent comme un acte de d sob issance implicite le fait 3. psychopathologie africaine, 1977, XIII, 1 : 71-79. que celui-ci les garde pour lui ; un enfant qui refuse de racon- ter ses r ves peut tre consid r comme un ingrat. Ainsi le r cit et l'interpr tation des r ves dans le cadre familial est un l ment important de l'ob issance due aux parents par les enfants. Lorsque j'interrogeais les malades dans les h pitaux psy- chiatriques j'ai t particuli rement frapp de d couvrir quel point ce fait est important. Pratiquement sans exception les ma- lades qui, dans leur enfance, dissimulaient leurs r ves leurs pa- rents n'avaient pas avec ceux-ci de bonnes relations. De plus, Je fait de raconter ses r ves un membre de la famille /p.

7 74/ plut t qu' un autre tait toujours un l ment important des relations du r veur avec les diff rents membres de sa famille. Les interpr tes de r ves II : les fqihs Hors de la famille, le personnage traditionnellement reconnu que l'on va consulter pour faire interpr ter un r ve est tr s sou- vent le fqih. Dans le cas de p lerinage effectu la tombe d'un saint (marabout) dans le but de r ver afin d'obtenir des con- seils ou une gu rison, il y a souvent un interpr te de r ve sur les lieux, soit le Muqaddim ou la Ch rifa, parfois le Ch rif. En g n ral, il y a une corr lation tr s nette entre le trajet parcouru loin de chez soi et la gravit de la requ te que l'on veut adresser par l'interm diaire du r ve et, en cas d'incubation3. de la gravit du r ve qui n cessite une interpr tation. Dans ses r ves provoqu s , le saint ou djinn du lieu appa- ra t devant le r veur pour r pondre ses questions ou, parfois, effectuer une gu rison demand e.

8 Le r le du fqih, aussi bien que son pouvoir, ont t influen- c s fondamentalement par son aptitude lire et il crire ainsi que par l'importance traditionnelle de l'instruction en Islam. Il existe en Islam un lien entre la puissance du mot crit et l'autorit de ceux qui savent lire. Le fqih a donc t indispen- 3 Incubation est un terme emprunt au Grec et qui d signe le fait de donner dans un lieu saint afin de provoquer un r ve de conseil ou gu rison. 4. Benjamin Kilborne L'interpr tation des r ves au Maroc sable comme scribe aussi bien que comme instituteur. Etant donn que l'Islam n'a pas de structure hi rarchique comparable celle de l' glise catholique, par exemple, le r le du fqih a t . essentiel car il a aid les Musulmans perp tuer leur croyance en l'universalit et la coh rence de l'Islam. C'est ainsi que l'aptitude lire et crire a t , traditionnellement, le principal support de la position sociale du fqih.

9 Un autre r le du fqih est celui de gu risseur . On consulte le fqih dans les cas de possession d moniaque , aussi bien que dans les cas de maladies r sistant la pharmacop e familiale. Dans de nombreux cas le fqih consulte les livres saints pour des lectures appropri es ou pour pr parer un harz, talisman crit. Alors que th oriquement le pouvoir du fqih a /p. 75/ ses racines dans le Coran et dans les livres saints de l'Islam, en fait les acti- vit s du fqih se dispersent dans d'autres domaines que les Mu- sulmans orthodoxes tendent consid rer comme h r - tiques : gu rison au moyen de talismans, pratique de magie noire ou blanche (ou les deux la fois) et oniromancie. Le r le du fqih dans la communaut comme l'interpr te de r ves est ins parable de ses autres r les comme porte-parole de l'Islam, comme ma tre d' cole et comme gu risseur, m me si ces r les nous paraissent incompatibles4. En somme, l'interpr tation des r ves au Maroc n'est pas l'activit alv olaire d'un sp cialiste, mais fait plut t partie int grante de l'ordre social qu'elle renforce et en fonction du- quel elle prend toute sa signification.

10 L'interpr tation des r ves et expressions d'autorit . au Maroc On peut penser que l'oniromancie arabe consiste surtout dans l'application des codes de symboles contenus dans les livres de r ves et que, par cons quent, les personnalit s de 4 Cf. Doutt B. : Magie et religion dans I'Afrique du Nord, chap. 3. 5. psychopathologie africaine, 1977, XIII, 1 : 71-79. l'interpr te et du r veur ne figurent pas d'une mani re significa- tive. L'exemple suivant suffira pour d montrer que l'interpr ta- tion des r ves au Maroc implique ce que nous pouvons appeler la situation ou le contexte social qui d finit, en partie, les rapports entre r veur et interpr te ; elle manifeste aussi les attitudes de l'interpr te devant, la fois, une situation, un r - veur et son r ve. Il y a, entre deux palais imposants, une petite maison un peu en retrait ; la porte est ferm e. Ma femme m'accompagne jusqu' la petite maison, pousse la porte et je me glisse, rapide et l ger dans une petite cour qui monte brusquement 5.


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