Rapport sur les questions mémorielles portant sur la ...

1 les questions m morielles portant SUR LA COLONISATION ET LA GUERRE D ALG RIERAPPORT JANVIER 2021 BENJAMIN STORA Pour Monsieur le Pr sident de la R publique, Emmanuel Macron. 1 ! J ai aim avec passion cette terre o je suis n , j y ai puis tout ce que je suis, et je n ai jamais s par dans mon amiti aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu ils soient. Bien que j aie connu et partag les mis res qui ne lui manquent pas, elle est rest e pour moi la terre du bonheur, de l nergie et de la cr ation. " Albert Camus, ! Appel pour une tr ve civile en Alg rie ".

2 22 janvier 1956 !Le pays se r veille aveugl par la col re et plein de pressentiments ; une force confuse monte en lui doucement. Il est tout effray encore mais bient t il en aura pleinement conscience. Alors, il s'en servira et demandera des comptes ceux qui ont prolong son sommeil " Mouloud Feraoun, Journal, 1955-1962, . 2 Le Pr sident de la R publique m a confi en juillet 2020 une mission pour la r daction d un Rapport sur les questions m morielles portant sur la colonisation, et la guerre d Alg rie. Il crivait, dans la lettre de mission : !

3 Je souhaite m inscrire dans une volont nouvelle de r conciliation des peuples fran ais et alg riens. Le sujet de la colonisation et de la guerre d Alg rie a trop longtemps entrav la construction entre nos deux pays d un destin commun en M diterran e. Celles et ceux qui d tiennent entre leurs mains l avenir de l Alg rie et de la France n ont aucune responsabilit dans les affrontements d hier et ne peuvent en porter le poids. Le devoir de notre g n ration est de faire en sorte qu ils n en portent pas les stigmates pour crire leur tour leur histoire. Ce travail de m moire, de v rit et de r conciliation, pour nous-m mes et pour nos liens avec l Alg rie, n est pas achev et sera poursuivi.

4 Nous savons qu il prendra du temps et qu il faudra le mener avec courage, dans un esprit de concorde, d apaisement et de respect de toutes les consciences. Aussi, conscient et respectueux de vos engagements, je souhaite pouvoir compter sur votre exp rience et votre connaissance intime et approfondie de ces enjeux pour nourrir nos r flexions et clairer nos d cisions, en vous confiant une mission de r flexion ". Cette initiative intervenait apr s que le Pr sident eut critiqu le syst me colonial, lors d un d placement Alger en f vrier 2017. D autres initiatives avaient suivi.

5 Il y avait eu, en 2018, la reconnaissance de la responsabilit de l Etat fran ais dans la mort du math maticien Maurice Audin, disparu en 1957 Alger. Et plus r cemment, le Pr sident fran ais a honor sa promesse de restituer Alger les cr nes des Alg riens tu s en 1849 lors de la conqu te du pays, et dont les restes avaient t conserv s au Mus e de l homme, Paris. Ce Rapport aborde plusieurs questions . D abord, les traces, survivances, effets des m moires de la colonisation et de la guerre d Alg rie sur la soci t fran aise. De l installation de l oubli la s paration des m moires.

6 Puis, seront expos s, et discut s, les diff rents discours des chefs d Etat fran ais propos de l Alg rie, du passage des ind pendances nos jours ; avec un bref inventaire des initiatives prises par les soci t s civiles, entre les deux pays. Dans une derni re partie sont trait es les questions relatives aux archives en g n ral, celle des personnes disparues en 3 particulier, de la connaissance et reconnaissance du fait colonial et de la guerre d Alg rie. Le Rapport pr sente enfin diff rentes pr conisations mettre en uvre pour une possible r conciliation m morielle entre la France et l Alg rie.

7 Au moment o la r daction de ce Rapport touchait sa fin, des attentats meurtriers ont frapp la France, la d capitation du Professeur d histoire Samuel Paty, et l assassinat Nice de trois fid les dans une Eglise, victimes du terrorisme islamiste. Ces questions , en particulier le Rapport entre le travail d ducation et le surgissement de la violence, sont abord es la fin de ce travail. A l heure de la comp tition victimaire et de la reconstruction de r cits fantasm s, on verra que la libert d esprit et le travail historique sont des contre-feux n cessaires aux incendies de m moires enflamm es, surtout dans la jeunesse.

8 4 Partie I Alg rie, l impossible oubli. Les effets de m moires. ! Ne peut-on pas dire que certains peuples souffrent d un trop de m moire, comme s ils taient hant s par le souvenir des humiliations subies lors d un pass et aussi par celui des gloires lointaines? Mais ne peut-on pas dire au contraire que d autres peuples souffrent d un d faut de m moire comme s ils fuyaient devant la hantise de leur propre pass . " Paul Ric ur, ! Le pardon peut-il gu rir ? " Esprit 3-4 (1995), 7. ! Ce sont des mes d'anc tres qui nous occupent, substituant leur drame ternis notre juv nile attente, notre patience d'orphelins ligot s leur ombre de plus en plus p le, cette ombre impossible boire ou d raciner, l'ombre des p res, des juges, des guides que nous suivons la trace, en d pit de notre chemin ".

9 Nedjma, de Kateb Yacine, 1956. 5 Un exercice difficile, mais n cessaire. La repr sentation du pass n est pas un acte anodin quand il s agit de la guerre d Alg rie, touchant plusieurs groupes de personnes traumatis es (soldats, officiers, immigr s, harkis, pieds-noirs, Alg riens nationalistes) ; et quand ces repr sentations entrent en contradiction avec des discours dominants, officiels. La r miniscence devient alors moins vidente, plus douloureuse, et l analyse de ce pass est plus confuse, d licate. Pour les soci t s fran aise et alg rienne, que faire de toutes les traces de guerre qui hantent les m moires ?

10 Quel statut donner aux souvenirs des uns et des autres ? Quelle interpr tation faire de ces silences que les soci t s accumulent pour continuer vivre ensemble ? Et faut-il tout raconter, tout d voiler des secrets de la guerre ? La question de la fid lit de la m moire, de la repr sentation de la chose pass e n est pas vidente. Les relations entre les deux pays restent donc, soixante apr s l ind pendance de l Alg rie, difficiles, complexes, tumultueuses. La r daction commune d un manuel scolaire, sur le mod le franco-allemand, n est pas envisag e. Un ! trait d amiti ", la suite de la visite de Jacques Chirac Alger en 2003, n est pas, non plus, l ordre du jour.